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Comme s’il en pleuvait (3/3)

vendredi 7 octobre 2011, par anteCii

Juste avant...

La vérité je l’ai gardée pour mon pote Marcel. On se cache rien avec Marcel et je pouvais le laisser mariner comme les autres. Alors je l’ai pris à part avant le repas de la cantine. On s’est assis tranquillous à l’ombre du marronnier et j’y ai tout expliqué. Et Marcel il en resté bouche bée. Je voyais bien qu’il avait du mal à me croire. Pourtant, ce coup-ci, tout était vrai. Il le savait Marcel, parce qu’entre nous tout est toujours vrai. Mais il avait du mal à digérer. Tout ce que je lui racontais, ça passait mal. Mais il m’a cru pourtant. Il a confiance en moi. Il m’a cru quand je lui expliqué comment mon cousin touchait son zizi pour le faire devenir tout dur et bien plus gros. « Je m’astube », y m’a dit Yvan, « c’est comme ça qu’on dit, et toi aussi tu peux t’astuber ! » Il m’a cru quand je lui ai raconté que j’avais essayé moi aussi de m’astuber et que ça marchait vachement bien. Il m’a cru quand je lui ai dit que j’avais expliqué ça à Léo et qu’il avait envie que j’y montre. Il m’a cru quand je lui ai fait comprendre que c’est à ce moment-là que papa m’avait surpris et qu’il m’était tombé dessus en hurlant. Enfin quand je dis tombé dessus, c’est une manière de parler. La maîtresse dit que c’est une image, mais moi je vois pas très bien le rapport entre tomber et une image. En réalité, j’ai reçu tout pleins de trucs mais papa est pas vraiment tombé. Et puis s’il a hurlé c’est pas parce qu’il s’était fait mal en tombant, vu qu’il était pas tombé en fait, c’est plutôt qu’il s’est enragé avec moi. Et j’ai dégusté tout un festival. Y avait des baffes, des coups de poings, des coups de pieds. J’avais l’impression d’être au milieu d’une bombe qu’en finissait pas d’exploser tellement ça tombait tout le temps et de tous les côtés. J’essayais de me protéger mais y avait toujours un endroit découvert et ça ratait pas. Et ça a duré vachement longtemps. Jusqu’à ce que papa, il en puisse plus.

J’avais eu beau crier et pleurer et appeler, personne était venu à mon secours. Léo était terrorisé et il sanglotait sous son lit. Maman lui disait d’arrêter, à papa, mais elle n’osait pas intervenir. Et ni les voisins, ni mes amis, ni aucun super-héros n’était venu à mon secours. L’orage avait éclaté sur ma tête et moi j’avais pas pris mon parapluie. Bon, après faut se faire sécher bien au chaud. Mais la flotte ça sèche plus vite que les coups et ça fait moins mal.

Le soir à l’heure du repas, quand maman a appelé pour qu’on vienne à table, je me suis retrouvé pour la première fois face à papa. J’en menais pas large. Léo non plus. Personne ne parlait et chacun évitait le regard des autres. On entendait surtout les bruits de la bouche de mon petit frère qui aspirait sa soupe avec sa discrétion habituelle. Moi j’ai fait fissa. En moins de cinq minutes, j’ai tout avalé, j’ai débarrassé mon assiette et j’ai déguerpi dans ma chambre. Je préférai être seul qu’avec eux. Y m’étouffaient avec tout leur silence qui sortait de partout. Après quand on est allé se coucher avec mon petit frère, j’ai entendu des trucs quand papa et maman parlaient. Léo s’était endormi tout de suite mais moi j’y arrivais pas alors j’ai fait semblant. J’ai pas tout compris parce qu’ils parlaient avec des mots de grands que des fois j’connais pas mais ça m’a quand même fait peur. Ils avaient l’air vachement embêtés. Papa a dit que la situation était sérieuse. Mais il parlait pas de mes bobos, il parlait de ce qui s’était passé aujourd’hui : le coup de fil de directrice, la convocation chez les flics, toutes les explications entre grandes personnes. Ils ont même parlé de l’assistance sociale. Moi, sociale je sais pas ce que ça veut dire. Ça me fait penser à saucisse mais ça doit pas être ça. Assistance, par contre, je sais, c’est quand on veut aider quelqu’un. Moi j’aime bien qu’on m’aide parfois. Mais papa et maman avaient pas l’air d’aimer ça. Ils ont dit que c’était le dernier avertissement. Bon moi je suis pas un spécialiste, mais avec la bastonnade que j’avais reçue, j’aurais pas vraiment appelé ça un avertissement. D’habitude c’est avec des mots pour avertir.

Au bout d’un moment ils se sont tus. C’est le silence de la nuit qui est arrivé. Je l’aime bien celui-là, pas comme celui du repas. Le silence de la nuit est vachement tranquille. Je suis resté tout seul avec mes pensées qui tournaient dans ma tête. J’étais calme. J’ai pas trop l’habitude. C’était peut-être parce que je me sentais un peu triste. J’aime pas trop avouer ce genre de truc parce que je sais qu’un homme ça pleure pas et que j’ai super envie de devenir un homme grand et fort, mais j’ai senti quelques larmes couler sur mes joues. À vous je peux bien le dire, on se connaît presque pas et je sais très bien que vous irez pas le répéter. J’ai tout fait pour les retenir ces larmes, mais elles ont pleuré toutes seules contre ma volonté. C’était juste au moment où j’ai essayé de me rappeler quand c’était la dernière fois que papa m’avait pris dans ses bras pour me faire un câlin.

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